K comme…kamikaze

Tout le monde connait les kamikazes, ces aviateurs qui choisissaient délibérément de s’envoyer contre des navires ennemis lors de la Seconde Guerre mondiale. Cette technique, que certains pourraient qualifier de radicale, a certes fait ses preuves sur le champ de bataille… mais à quel prix et pour combien de temps ?

Là, vous êtes en train de vous demander depuis quand Baston parle Histoire dans ses chroniques. « K », c’est une lettre de merde et on n’avait pas envie de parler de KPI: on a donc fait dans la métaphore.

Ceux que nous appellerons les « Kamikazes » dans ce billet, c’est ces agences (ou indépendant.e.s) qui bossent à des tarifs bien trop bas pour être viables. Ceux qui te signent un spot publicitaire pour 1’000 balles ou un site internet à 400 francs et qui, de facto, te font passer pour un voleur avec tes prix tout à fait corrects.

Ce n’est un secret pour personne, la publicité est une branche plutôt compétitive. Les pitches sont nombreux et les places sont chères. Et si dans un monde idéal on serait tous·tes jugé·e·s sur nos idées, notre stratégie ou notre créativité, dans les faits, les petits chiffres en fin de présentation ont bien souvent un poids plus qu’important dans les processus de sélection. Économiser plutôt que se palucher sur des délires de publicitaires: je n’approuve pas, normal, mais je peux comprendre.

Là où ça se complique, c’est quand dans l’équation viennent se glisser des acteur·rice·s qui décident de casser les prix. Et je ne parle pas d’un « geste commercial » mais bien d’un gros doigt levé aux gens de la branche (ces idéalistes qui pensaient pouvoir vivre de leur métier) ! Il nous arrive donc parfois de se faire surprendre par des questions du type « comment se fait-il que vous soyez deux fois plus cher que vos concurrents ? (comprenez le(s) type(s) dont je parle plus haut.)

Qu’est ce que tu veux répondre à ça ? Que ton plan de carrière n’inclut pas de faillite personnelle? Ou que tes parents ne sont pas millionnaires ? Après tout, c’est vrai que la pub reste un sport de riche, en témoigne le prix des écoles où sont formé·e·s nombre de ses acteur·rice·s. Mais à qui profite ce dumping salarial (ou devrais-je dire dumpling salarial, pour garder le côté japonisant)? Certainement pas à notre industrie, et, au final, rarement aux agences incriminées: j’avoue ne jamais avoir été estomaqué par les réalisations au rabais remportées par certains adversaires de pitch.

Bosser à perte, c’est un calcul à court terme. C’est se jeter sur des projets sans vision. Pour reprendre notre analogie, c’est comme ces cadets japonais qui décollaient sans parachute après un entrainement de sept jours: deux jours pour apprendre le décollage, deux pour le pilotage et trois pour les tactiques d’attaque. Vous noterez que l’atterrissage n’est pas au programme. Et, comme dirait Mathieu Kassovitz, l’atterrissage c’est important.

Combien d’agences a-t-on vu exploser en vol alors que le ciel semblait bleu pour elles et leurs « supers » projets ? On peut avoir les clients les plus cool du monde, s’ils ne paient pas, mieux vaut aller à la piscine : c’est plus rafraichissant et ça coute moins cher qu’un abonnement au Creative Cloud.

Et si on construisait une industrie créative plus saine? Si les autorités et organisations faitières posaient un cadre? Si nos clients arrêtaient de penser qu’on peut avoir toujours plus avec toujours moins. Et surtout, si les agences arrêtaient de baisser leur froc? Oui, les kamikazes japonais étaient redoutés en 1945. Mais ça ne leur aura pas évité Hiroshima.

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